2ème jour : 06/08/2012
Après quatre ou cinq heures à tourner en rond, essayer de se rendormir, lire, écouter de la musique, trier des photos, bref tenter désespérément de tuer le temps avant le lever du jour, nous accueillons avec bonheur les premières pétarades des tuk-tuks sous la faible lueur de l’aube. Nous reprenons donc du poil de la bête à l’aide du buffet du petit-déjeuner dont la seule touche locale est le petit plat de riz cantonais. Première déception pour The Unstoppable qui tenait absolument à goûter aux purs jus de fruits exotiques de Thaïlande dont les mérites lui furent tant vantés par ses collègues de bureau, et qui devra aujourd’hui se contenter d’un choix entre jus d’orange, jus de pomme et jus d’ananas, trois liquides chimiques premier prix absolument immondes, qui n’ont de fruité que le nom. On pourra tout de même se rabattre sur les habituelles tartines, le moins habituel riz cantonais et les œufs sous toutes les formes, de qualité très correcte.
Mais nous ne perdons pas notre temps en digressions culinaires et nous attaquons à nouveau à Bangkok pour acheter notre billet de train, en prévision de notre voyage vers Chiang Mai. Nous marchons dans la ville, sac au dos et Routard à la main, terrassés par l’habituelle lourdeur de l’air, à laquelle s’ajoute maintenant un soleil écrasant, et finissons par apercevoir la silhouette du bâtiment…encerclé par des travaux, de l’autre côté d’un gigantesque rond-point. C’est alors que le caméraman prend une décision téméraire : à Bangkok comme les Bangkokois. Comme je l’ai récemment précisé, la circulation est toujours très dense, les routes sont très larges et les passages piétons peu respectés. Le mode de circulation du piéton est donc assez dangereux : non seulement il se balade régulièrement sur la route en soirée, lorsque le trottoir est encombré, mais en plus lorsqu’il doit la traverser, il est forcé de s’imposer aux automobilistes. Contrairement à ce qu’on pourrait penser avec notre mentalité européenne, ces derniers n’écrasent pas leurs klaxons tels des bovins en rut mais laissent poliment passer le piéton avant de reprendre leur route. Ainsi, le code de la route de Bangkok se définit en une phrase : « Tu fais attention à moi, je fais attention à toi, tout se passera bien. » Le piéton doit donc s’engager sur la route et se signaler aux divers usagers de la route qu’il croise. Attention tout de même à ne pas s’encastrer dans un scooter ou autre tuk-tuk au détour d’une file de voitures. Le JG s’élance donc sur la route, suivant sa trajectoire avec l’opiniâtreté d’une mule, tandis que nous le suivons tant bien que mal en slalomant entre les voitures tels des lapins effarouchés.
Enfin, nous parvenons à atteindre l’entrée de la gare, en nage, énervés par le bruit et la chaleur, comptant nos orteils pour vérifier si nous n’en avions pas laissé quelques-uns sur la route. C’est alors qu’une dame vient à notre rencontre. Nous commençons à deviser, elle demande si on veut prendre le train, et lorsqu’on lui annonce qu’on compte entrer pour acheter un billet elle brandit son badge comme un crucifix, dressée entre nous et la gare, et nous comprenons qu’il s’agit d’un personnel qualifié officiel agréé certifié authentique de la gare. Nous préparons donc nos trois billets pour Chiang Mai, précisant la date, la classe etc, jusqu’à ce qu’elle nous tende un ticket, une sorte de bon pour un billet de train, et nous mène, non pas à l’intérieur de la gare mais quelques mètres plus loin, dans…une agence de voyage. Aaaaaah… Et c’est ainsi que nous passons notre matinée enfermés à négocier pour la bagatelle de 50000 bahts tous les menus détails de notre séjour (que je ne vais pas préciser parce que ce serait du spoil). Même si ce petit changement de programme nous prive de notre activité du matin, les klongs, il me permet de découvrir le monde du travail thaï par le biais d’une entreprise locale. Rien de bien différent par rapport à chez nous, si ce n’est le petit autel placé dans un coin de la pièce, au milieu des bouteilles de Fanta orange et autres sodas.
Notre porte-monnaie considérablement allégé, nous nous dirigeons vers un joli bistrot à l’allure moderne, le fashion-flawless, afin d’oublier les dépenses de la matinée. Ce bar n’en est d’ailleurs pas un, ou du moins qu’à moitié, puisque si le rez-de-chaussée est effectivement consacré à servir des boissons entre autres choses, l’étage est une boutique de vêtements, d’où le nom ! Bref y a un bistrot, on va pouvoir se prendre une assiette de… Ah non, c’est notre caméraman qui gère le budget, et étant capable d’ingurgiter un café en guise de déjeuner il ne conçoit pas que le reste du groupe veuille se sustenter. Je suis donc forcé de me contenter d’un hybride à mi-chemin entre boisson et dessert : le Cocoa Kit-Kat, littéralement « Kit-Kat au cacao ». Création maison du fashion-flawless ou spécialité thaï ? En tout cas, cette boisson consiste en un chocolat frappé mixé avec des vrais Kit-Kat surmonté d’une bonne dose de crème chantilly couronnée de sauce au chocolat dans laquelle est plantée une moitié de cette fameuse barre chocolatée. Le tout dans un récipient de la taille d’une bonne chope de bière. En bref, ça déchire grave.
Ce semblant de déjeuner dans l’estomac, nous entreprenons de rattraper notre activité du matin : le voyage en « long-trail boat », une longue barque à moteur avec un toit en toile pour protéger des intempéries, dans les « klongs », des canaux semblables à ceux de Venise mais plus larges, dérivant du fleuve Chao Praya qui traverse Bangkok. Les klongs se trouvant à des kilomètres du fashion-flawless, nous avons l’occasion de découvrir le métro, impeccablement propre et si sécurisé que pour y entrer, il faut passer une barrière de sécurité semblable à celle des aéroports, et le tramway aérien, lui aussi très propre, et très moderne. À notre arrivée, nous louons un « bateau à longue queue », et comme nous n’aimons pas les gens et que nous avons les moyens, nous en prenons un rien qu’à nous. Parce que bon, on fait pas douze mille bornes pour se retrouver avec les mêmes tronches que celles qu’on subit toute la journée à la maison. Nan mais c’est vrai quoi. Bref passons. Cette petite balade nous permet de découvrir une partie de Bangkok insoupçonnée, plus naturelle et modeste qui contraste fortement avec la partie bétonnée, grandiose, bruyante, grouillante, fumante et dangereuse de la ville. Nous faisons même une petite halte au milieu d’un canal pour nourrir d’énormes poissons venus se bousculer par centaines pour goûter au mets fin et raffiné qu’est le pain sec.
Après une heure de barbotage, nous partons à la recherche d’un moyen de transport pour nous ramener au bercail. Un pilote de tuk-tuk nous harangue (événement qui se produit environ vingt-cinq à trente fois par jour pour le touriste moyen) mais le JG étant un négociateur très féroce (une pince pour les mauvais esprits), nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord sur un tarif et changeons notre crémerie d’épaule. La suite des événements lui donne raison puisque nous trouvons rapidement un taxi-meter à moins cher et que sur le chemin du retour il se met à pleuvoir. Enfin, nous voilà de retour dans notre nid : chacun prend sa douche puis s’écroule dans son lit (parce qu’on est quand même debout depuis trois heures du matin, ne l’oublions pas) en attendant le moment béni où nous aurons à nouveau l’occasion de tester la gastronomie locale et du même coup l’élasticité de nos ventres.
Ce soir, c'est décidé : on tente quelque chose de vraiment local, un truc authentique. Sont donc bannis tous les fast-foods chinois ou autres McDonald's. C'est dans cet esprit d'authenticité que The Unstoppable et le JG feuillettent le routard, à la recherche d'un resto 100 % thaï. Alors... « Bon marché (moins de 200 Bts – 4€) » Ah ! C'est bien ça ! « Cantines de rue (plan couleur I, D4) : au coin de Silom et Convent Rds […] Plats thaïs sur le pouce frais et savoureux, cuisinés dans une multitude de petits stands et servis sur des tables improvisées. À l’heure du déjeuner, tous les employés du quartier s’y précipitent ; et en soirée, de nombreux noctambules viennent là pour recharger leurs batteries. Rencontres authentiques. Vraiment pas cher. » (Le Guide du routard Thaïlande, ed. Hachette, 2011) Ces deux dernières phrases ayant particulièrement séduit The Unstoppable et son caméraman (dans l’ordre), nous nous décidons à sortir de Chinatown pour découvrir la capitale pure et dure, sans influence d'autres territoires, ce qui nous donne l'occasion de vivre notre première expérience tuk-tuk. Le voyage est plutôt agréable, surtout que ce véhicule étant totalement ouvert nous profitons du vent généré par la vitesse, mais il faut bien le dire, la vitesse en question n'est pas vertigineuse puisqu'à quatre dans une bécane qui a tout de la mobylette (sauf la forme qui lui aurait conféré une certaine agilité) au cœur de la circulation bangkokoise, on passe difficilement le mur du son.
Arrivés au coin de Silom et Convent roads, notre petit groupe se met en route, cherchant tranquillement une enseigne indiquant « Cantines de rue ». Après un quart d’heure de recherches infructueuses, je m’intéresse enfin à la question et me mêle aux recherches (afin de ne pas mourir de faim). C’est alors qu’un éclair de lucidité traverse mon esprit : « Dites-donc, les gars…Les cantines de rue…Ce serait pas par hasard tous ces petits restaurants, ces cantines qu’on voit dans la rue ? » Aaaaah, pas bête. En effet nous étions si fermés d’esprit que nous n’avions pas envisagé un seul instant que ces petits stands soient considérés comme des restaurants. Maintenant que nous avons compris ce que nous recherchons (c’est déjà ça), reste à faire le choix entre ces dizaines de cantines différentes. Notre premier critère d’élimination sera l’hygiène : en effet, nous pauvres européens aseptisés avons du mal à « digérer » le fait que la vaisselle soit faite à la main, par terre, dans des bassines d’eau crasseuse. Nos inquiétudes se portent aussi sur la qualité de la bouffe, avec l’épineuse question de la fraîcheur des produits de la mer (« Il est pas frais mon poisson ?! ») La vaisselle au système D est cependant une technique commune à tous les stands et le routard estime que la nourriture est « fraîche et savoureuse », nous nous asseyons donc plutôt confiants à une petite table aux chaises bancales, cherchant dans la carte des plats exempts de poisson – qu’on retrouvera tout de même dans le plat de riz. Finalement, ce bon vieux Routard n’avait pas menti, nous nous régalons de plats de riz, de légumes frais, de poulet et même de bœuf (parce que nous, on est des aventuriers). Les quantités étant tout de même largement inférieures à celles du Texas Suki de la veille, nous faisons un petit écart par rapport au thème « authentique » en nous payant des Magnum à la vanille et au chocolat au lait avec ses éclats d’amande. Et puis merde, on fait ce qu’on veut.
C’est pas le tout, mais il faut rentrer si on veut à nouveau nous étaler comme des gros phoques sur nos lits pour récupérer du jet lag. Les pilotes de tuk-tuks étant embusqués à chaque coin de rue et au bord de chaque trottoir, il n’est pas difficile d’en trouver un qui nous ramène à Chinatown. Le plus dur cependant est d’arriver à accorder ses tarifs au porte-monnaie du JG. S’engage alors une négociation des plus offensives :
« Two hundred.
– One hundred.
– One hundred and fifty ?
– One hundred.
– One hundred and…thirty?
– One hundred.
– One hundred and twenty !
– One hundred.
- … (regard indéchiffrable)
– … (regard pénétrant)
– Okay! »
Et c’est ainsi que commence le tournage de Fast & Furious 8 : Tuk-tuk rider, notre pilote fonçant en ligne droite lorsque la route est vide, évitant les bus à dix centimètres lorsqu’elle est pleine, prenant ses virages à la Jason Statham (dans Transporteur hein, pas dans Expendables) avec deux roues sur le sol et la troisième qui décolle, et nous qui rions comme des débiles à l’arrière, sans nous arrêter, le nez dans nos glaces, si bien qu’il se met à rire aussi et accélère encore.