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5 octobre 2014 7 05 /10 /octobre /2014 18:50

14/08/2012

 

10ème jour : Welcome to the Jungle

 

     La partie hardcore de notre séjour commence, en toute logique, par un réveil aux aurores et un voyage inconfortable (à six sur une banquette), relativement long (trois heures) et dangereux (sans ceinture de sécurité) en songthaew, histoire de se mettre tout de suite dans le bain. Nous sommes rejoints par quatre espagnols et quatre allemands, qui comme l’observe très justement le JG fixent la moyenne d’âge autour de vingt-cinq ans. Notre petit groupe ne vient pas trop déséquilibrer cette moyenne, en définitive, puisque nous présentons les deux extrêmes de la série, le maillon faible, les personnes âgées et les jeunes enfants. Notre challenge sera donc de ne pas nous laisser distancer, de ne montrer que de la vigueur et du courage, et de faire voir aux jeunots/vioques (selon le point de vue) comment on s’y prend au pays du camembert. Car oui, on peut le dire sans honte ni pudeur, ici, c’t’un peu la France que nous représentons. Et pas n’importe laquelle : la France de François Hollande.

     Nous sommes également rejoints l’espace de cinq minutes par un monsieur averti (qui en vaut donc deux) et pétri d’expérience qui nous expose quelques règles de base à respecter pour éviter une mort lente et douloureuse dans la forêt – se badigeonner de crème à partir de seize heures, porter lunettes de soleil et couvre-chef, etc – ainsi que des astuces un peu plus spécifiques telles que mettre ses chaussures et ses vêtements dans un sac fermé pour la nuit sous peine de déranger un scorpion ou quelque insecte géant en les enfilant au petit matin. En effet ces adorables bébêtes ont la fâcheuse habitude de sortir de terre la nuit et de grimper dans les cabanes pour y trouver un petit coin chaud et coquet (généralement une basket) dans lequel elles rampent avec leurs pattes velues et se pelotonnent bien à l’aise.

     Rassérénés par ces précisions, nous continuons notre route. Alors que je tente d’ouvrir mon sac à dos, je vois furtivement un bout de métal s’envoler, libéré de sa petite soudure merdique, et le lacet me reste dans les mains. Mmmmh… Le test de solidité n’a pas encore commencé que ma besace commence déjà à se désagréger joyeusement.

     Nous arrivons vers midi au beau milieu de nulle part ; ça tombe bien, c’est notre destination. Chacun endosse son sac à dos bourré de tout ce qui peut être nécessaire lorsque l’on passe trois jours dans la forêt, le songthaew nous quitte et le groupe se met en route, Harry (ou Dirty Harry pour les intimes), notre guide, en tête, et un autre membre du staff moins bavard fermant la marche, un panier gigantesque sur les épaules.

     Première embûche : la traversée du cours d’eau. Chacun enlève ses sabots ou passe avec les fameuses chaussures ouvertes qui révèlent leur utilité dès les premières minutes, et c’est la première occasion de commettre une erreur fatale : garder ses sandales une fois le ruisseau franchi. Parce qu’avant la prochaine pause, on se retrouve rapidement avec la peau sympathiquement rabotée à divers niveaux et des ampoules grosses comme des olives. Je comprends mon erreur quelques mètres plus loin quand je m’aperçois qu’il n’y aura plus de cours d’eau à traverser et décide donc de changer de chaussures. Je laisse glisser mon sac de l’épaule sur l’avant-bras pour récupérer mes baskets accrochées aux lanières par les lacets et…Ah. Le sac était trop chargé, l’anse n’a pas supporté le choc de la chute de vingt centimètres épaule/avant-bras. Elle avait déjà craqué la dernière fois, mais là c’est fini, il ne reste plus que le petit cordon pour serrer/desserrer. Bon. Décidément, la qualité North Face laisse à désirer hein! À moins que…non…je me refuse à envisager une telle éventualité…et pourtant c’est bien la seule explication…ce sac ne serait pas un vrai North Face?! Mais le vendeur avait dit que…oh. Il m’aurait menti? Noooooon! Comment est-ce possible? Il avait l’air si gentil, et moi j’étais si naïf… Et me voilà, désabusé, désillusionné, désenchanté, pleurant sur la carcasse de mon sac tandis que le groupe s’éloigne lentement, m’abandonnant à mes tourments.

     Il faut pourtant marcher, ce qui reste de mon sac sur le dos, et le cordon de serrage/desserrage tient plutôt bien, ce qui me permet d’utiliser l’anse plus ou moins comme d’habitude. Dans ma hâte de rattraper le groupe je ne prends pas le temps de remettre mes chaussettes ; pour éviter les ampoules c’est…râpé, si j’ose dire. Le guide profite de mon exemple pour expliquer au groupe que ce qui se vend au Night Bazaar ressemble au vrai, a le goût du vrai, mais n’est pas du vrai. Ceci dit, je pense que tout le monde en est conscient ; ce que notre exemple révèle en plus c’est que non seulement c’est du faux, mais en plus ce qui est authentique dans ce sac c’est la qualité : ce n’est pas du vrai North Face, par contre c’est de la vraie merde.

 

     Nous nous arrêtons trois quarts d’heure plus tard pour…déjeuner! Ah! Bon! Ça c’est bien, ça c’est un repère inébranlable, quelle que soit la société, l’état, le pays, le continent, la planète, la situation économico-socialo-politique, on sait que tout va bien quand on a de quoi manger! Ici, le repas se présente sous la forme d’une grosse poignée de riz thaï cuisiné avec une sauce épicée, des morceaux d’omelette, de tomate et de la fameuse “plante dégueu”, le tout empaqueté dans une double couche de feuilles de bananier. Ce que j’appelle “plante dégueu” est un condiment végétal au goût, disons, puissant et particulier, que les thaïlandais prennent plaisir à disperser dans absolument tous leurs plats, surtout les plats de riz ou de nouilles, comme autant de pièges fourbes. Heureusement, il n’est dangereux que lorsque l’on mord dedans, comme le clou de girofle. En dessert : bananes. Tant pis.

     Tandis que le porteur/guide se grille un spliff de la taille d’une bougie de communion pour fêter l’allégement de sa cargaison, Harry entreprend une réparation rapide et maison de mon sac à dos, avec du fil et une aiguille, pour un résultat plus solide que l’original ; merci Harry.

 

     Nous nous remettons rapidement en route pour trois bonnes heures de marche dans une chaleur étouffante mais sans pluie et protégés généralement du soleil par la forêt, randonnée émaillée de pauses courtes mais régulières qui donnent l’occasion aux guides d’allumer d’autres pétards puis de jouer avec des cailloux ou de chanter “Frère Jacques, saucez les matines” en gloussant. Le soleil brille, les oiseaux chantent, les fourmis fourmillent, les T-shirts se mouillent, les fronts luisent, les cuisses se tendent et les talons frottent contre les chaussures tandis que les sacs semblent s’alourdir, tirant cruellement sur les clavicules. Notre groupe croise déjà quelques sympathiques spécimens de faune locale : les petits porcins trop vifs pour que je réussisse à les photographier qui nous suivront furtivement sur un petit kilomètre avant notre arrivée au camp, la grosse araignée aux couleurs bigarrées tendue au milieu du chemin sur une toile invisible (désolé pour la photo floue, vous aurez l’occasion d’en voir une plus nette – c’est l’éternel problème de la dynamique des grands groupes, on ne peut pas s’arrêter tranquillement pour prendre ses photos), et la grosse chenille urticante paisiblement camouflée sur son arbuste, à l’abri du regard des prédateurs. C’était sans compter sur The Unstoppable qui manque cruellement de confiance en son équilibre (d’où l’épisode qui lui a valu son surnom, cf. Road Book USA 2010) et s’accroche donc, dans les pentes de plus de 15%, à tout ce qui lui tombe sous la main, que ce soit une branche, une pierre, un pauvre randonneur…ou un tronc d’arbre. Elle finit, à force de tripoter tous les végétaux plus ou moins proches du chemin, par percer involontairement le subterfuge de l’animal, se blessant à cinq-cents mètres de l’arrivée.

     Elle se traîne finalement avec vaillance jusqu’à notre destination, faisant fi de la brûlure qui irradie de sa main, et nous découvrons notre base pour la nuit : un campement rudimentaire greffé au village de la tribu Karen, composé d’un dortoir, d’une salle à manger et d’une salle de bain, pour un ensemble une étoile et demie, selon Harry. Le dortoir est une grande cabane légèrement surélevée à l’ossature en bois, aux murs de paillasse semblables à des nattes de plage et au toit de tôles. La porte (en natte de plage également) s’ouvre sur un couloir central qui coupe l’unique pièce en deux, fait de quatre planches irrégulières et courbées par l’âge au début, puis sur la fin simplement de branches d’arbre larges, le tout laissant aisément voir, quelques centimètres plus bas, la terre et les diverses bestioles qui y cheminent, mammifères, volatiles, batraciens, coléoptères, annélides, formicidés, le tout produisant à partir de dix-huit heures un joyeux concert de crissements, aboiements, hurlements, coassements, hululements et caquètements. Des deux côtés du couloir sont alignés les “lits” : le sol est simplement plus régulier et surélevé d’une trentaine de centimètres, et couvert de tapis pour plus de confort. Dans cette optique de confort optimal sont également disposés des petits sacs de couchage et des toiles moustiquaires suspendues au-dessus des lits, bon certes elles sont trouées mais ce n’est pas grave, les insectes volants sont gros comme des ballons de foot dans ces contrées, et pour citer un pote à moi, they shall not pass (certes, la citation exacte est “you shall not pass” mais enfin bon essayez donc d’arrêter un moustique avec de la culture, il s’en fout il parle pas anglais). Qu’on vienne pas me dire, après ça, que c’est inconfortable! Dehors, la table et les bancs en planches, sous leur préau de bois et de tôles, constituent la salle à manger. Et enfin vient la salle de bain, qui pour une meilleure communion avec la nature ne se trouve pas dans le dortoir mais à l’extérieur, à ciel ouvert. Elle est délimitée par quatre murs de feuilles dont un pan se détache (la porte), et le sol y est couvert de branches pour éviter de patauger dans un marécage boueux ; en conséquence les ablutions nécessitent un certain équilibre puisque les branches ne sont pas aussi régulières qu’un carrelage, et ils n’ont pas pensé au tapis antidérapant motif canard. Le pommeau de douche se résume à un tuyau d’arrosage qui pend dans un coin.

     Dans ces circonstances, même Bébert le Puriste pourrait se laisser gagner par l’inquiétude concernant le dîner : va-t-on devoir chasser pour manger? va-t-on manger des plantes? brouter de l’herbe? va-t-on manger de petits asticots blancs et gras, grouillants de vie, avec leurs petits ergots à une extrémité qui créent ces chatouilles si particulières lorsqu’ils glissent dans l’œsophage? va-t-on manger? Contre toute attente, ce soir, c’est repas de gala. Des plats énormes et délicieux à base de riz, de légumes et de viande, et des boissons diverses (eau, sodas, Chang Beer). Sur la fin du repas, commence le concert : un grillon solitaire stridule quelque part dans les arbres, rejoint par un autre, puis un autre, et bientôt c’est toute la forêt qui entonne sa mélopée nocturne, alors que quelques crapauds joignent leurs croassements à l’ensemble, imités de temps en temps par un oiseau au hululement imposant.

     Pendant ce temps, The Unstoppable présente tous les symptômes qui apparaissent quotidiennement chez elle autour de vingt-et-une heures et qui annoncent à l’ensemble de l’entourage que ce n’est pas le moment d’entamer un tarot ou un film, aussi culte soit-il : baisse de la température corporelle, bras refermés autour de la taille, recroquevillement progressif généralisé du corps, paupières tombantes, yeux fixes et lointains et frissons continus. Le JG, quant à lui, observe l’augmentation régulière de la population de coléoptères et d’insectes volants dans son espace vital. C’est tant pis, je vais rester tout seul pour représenter les Frenchies pendant cette veillée de jeux, de chants, d’anecdotes et de tours de magie.

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commentaires

A
J'apprécie votre blog , je me permet donc de poser un lien vers le mien .. n'hésitez pas à le visiter. <br /> <br /> Cordialement
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